Gaudi et Majorque, c’est un peu une histoire d’orgueil. Excité par le projet de laisser son empreinte sur l’une des cathédrales les plus emblématiques d’Espagne, Gaudi commence sa restauration. Après lui, d’autres architectes modernistes apposent leur marque dans la capitale de la grande île des Baléares, façonnant d’incroyables édifices qui n’ont rien à envier à Barcelone.
Gaudi et la cathédrale de Majorque
À la fin du XIXe siècle, l’évêque Pere Campins souhaite rénover la cathédrale de Palma de Majorque. Il se tourne audacieusement vers l’architecte catalan Antonio Gaudi qui laisse une fois de plus son empreinte sur un monument religieux.

Quelques mots sur la cathédrale de la Seu majorquine
Construite sur ordre de Jaime I roi d’Aragaon en 1229 pour remplacer la mosquée de la Médina Mayurqa et célébrer sa victoire sur les Maures, la Seu est l’une des cathédrales les plus impressionnantes d’Europe. Chef d’œuvre de l’architecture gothique, l’édifice dédié à la Sainte Vierge est à l’origine bâti en bord de mer. L’urbanisation de la ville modifiant le paysage, la ville décide de construire dans les années 70, un lac artificiel dans le parc del mar, afin que la cathédrale retrouve son reflet d’antan.
En 1851, Majorque connaît un tremblement de terre. La cathédrale est touchée. Monseigneur Pere Campins, évêque de Palma à l’époque, a la charge de restaurer le bâtiment. Déçu par les propositions des architectes diocésains, il se rend à Barcelone, pour demander conseil à l’architecte catalan Antonio Gaudi.
L’empreinte laissée par Gaudi à Palma
En 1903, Gaudi présente à l’évêque Campins son projet de restauration de la cathédrale de Palma. Emerveillé par le projet, l’évêque lui confie le chantier qui liera pour toujours Gaudi et Majorque.
Conformément à ses plans, le grand maître du modernisme catalan :
- déplace le chœur du centre de la nef vers le presbytère ;
- démonte les deux retables qui empêchaient les fidèles de voir la chaire épiscopale ;
- place le maitre-autel face à la chaire ;
- découvre certaines fenêtres de la chapelle royale ;
- installe un baldaquin sur l’autel ;
- transfert le cœur de la nef centrale au presbytère ;
- ouvre les baies vitrées autrefois condamnées et crée des vitraux neufs en hommage à la Vierge, pour accentuer l’éclairage naturel du lieu ;
- imagine le mobilier liturgique, des éléments ornementaux en fer forgé (candélabres, lampes, tec.), céramique et peinture créant une atmosphère propice au recueillement.
Avec ces modifications, le père de la Sagrada Familia, revalorise le caractère gothique du lieu et rapproche les fidèles du culte.
Après dix ans de travaux, suite à a mort de l’évêque et à ses différends avec les entrepreneurs, Gaudi abandonne le projet.
© Pinterest – Trouvée sur Mary Josey Norris

Les modernistes à Majorque
A Palma, les édifices modernistes ne passent pas inaperçus. Zoom sur ceux que vous ne pouvez pas manquer.

Lluís Domènech i Montaner et la fondation Caixa
Située Plaça Weyler, la fondation CaixaForum est le premier bâtiment moderniste construit sur l’île. Construit entre 1901 et 1903 par l’architecte catalan Lluís Domènech i Montaner, l’édifice fut le premier hôtel de luxe en Espagne jusqu’à l’inauguration de l’hôtel Ritz à Madrid.
Pendant la guerre civile, l’hôtel sert de résidence aux soldats de l’armée de l’air italienne et ce jusque dans les années 40 où il est vendu et transformé en bureaux au profit de l’Institut national du bien-être. Plus tard, il abrite le palais de justice et le bureau de recensement.
En 1987, l’ancien Gran Hotel est racheté par la Caixa d’Estalvis i Pensions de Barcelona qui entreprend d’importants travaux de restauration pour lui rendre son aspect d’origine pour le transformer en centre culturel. La CaixaForum est ainsi inaugurée en 1993.
Francesc Roca i Simó et Guillem Reynés i Font et Can Casasayas et la pension Menorquina
Presqu’en face de la CaixaForum, deux bâtiments jumeaux trônent sur Plaça Mercat : Can Casasayas et l’ancienne Pension Menorquina. Construits entre 1908 et 1910 en deux phases, l’influence de Gaudi est palpable.
La construction du bâtiment résidentiel est dans un premier temps confiée à l’architecte majorquin Francesc Roca i Simó. Mais ce dernier est contraint d’abandonner le projet pour partir travailler en Argentine, où il y introduit le modernisme. Son travail est alors repris par le majorquin Guillem Reynés i Font, qui dans le passé travailla avec Antonio Gaudi et réalise la deuxième phase du projet du promoteur Josep Casasayas Casajuana : la réhabilitation de l’ancienne Pension Menorquina. A l’origine, un pont devait relier les deux édifices. Mais en 1909, le conseil municipal rejeta l’idée.
© Pinterest – Trouvée sur Carmen Ciocian


Nicolau Lliteras et Can Corbella
A côté de la Plaça Cort, l’édifice Can Corbella représente la transition vers le modernisme. De style néo-mudéjar, il a été conçu par l’architecte Nicolau Lliteras comme un logement multifamilial avec un rez-de-chaussée commercial.
Composé en réalité de trois bâtiments unis par une même façade, il faut relever l’incroyable travail des vitraux polychromes du rez-de-chaussée, encadrés par des arcs en fer à cheval, et le bois sculpté qui recouvre toute la partie supérieure ondulée.
Le local commercial abrite aujourd’hui une des boulangeries les plus fameuses de Majorque et de sa capitale : le Forn de la Soca. Vous pourrez y déguster de nombreuses spécialités majorquines telles que les cocas, les gâteaux aux amandes, ou encore les très célèbres ensaimadas.
Lluis Forteza Rey et Josep Alomar : Can Forteza Rey
A deux pas de la Plaça Major, Can Forteza Rey est l’édifice emblématique du modernisme à Majorque. Datant de 1909, son promoteur, propriétaire et concepteur n’est pas un architecte mais un bijoutier : Lluis Forteza Rey. Avec l’aide de l’architecte Josep Alomar, ils réalisent un bâtiment résidentiel habité par les membres de la même famille. Son frère Ignacio y installe même sa clinique dentaire comme on peut encore le voir sur l’enseigne d’une des tribunes.
Il est donc très probable que Lluis Forteza Rey ait connu personnellement Gaudi. En effet, son père José Forteza Rey Aguiló, a travaillé en tant qu’orfèvre sur le chantier du baldaquin imaginé par l’architecte pour la cathédrale de Palma.
Dans le local commercial au rez-de-chaussée de l’édifice, vous trouverez la très célèbre boulangerie Santo Cristo.


Gaspar Bennàssar i Moner et les Almacenes El Águila
Mitoyen à Can Forteza Rey se trouve l’ancien bâtiment d’Almacenes El Águila. Construit en 1908 par l’architecte majorquin Gaspar Bennàssar i Moner, en collaboration avec Jaume Aleny, il abrite à l’époque le légendaire grand magasin Almacenes El Águila présent dans de nombreuses villes espagnoles.
Les deux hommes relevèrent brillamment le défi de faire entrer la lumière naturelle en créant de grandes ouvertures, satisfaisant ainsi les objectifs commerciaux du grand magasin.
Aujourd’hui, seul le rez-de-chaussée accueille encore un magasin. Les étages supérieurs ont été réaménagés en appartements.
Gaspar Bennàssar i Moner est également l’architecte du très bel édifice moderniste Can Coll, situé en face de la Llotja.

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