Le “pouvoir des Trois” des sœurs Brontë

sœurs Brontë
portrait des trois sœurs Brontë, Anne, Emily et Charlotte
Portrait des soeurs Brontë, “A la colonne”, par leur frère Branwell – 1834

Si le “pouvoir des Trois” faisait la force des sœurs Halliwell, le pouvoir littéraire des trois sœurs Brontë n’a clairement rien à leur envier. Contrairement aux sœurs Halliwell, les sœurs Brontë ne disposaient pas d’une lignée d’aïeux possédant la magie du verbe ou de l’imagination, et leur père fut très présent dans leur éducation, les incitant vigoureusement à lire et à écrire. En revanche, elles sont elles aussi marquées par la mort de leur mère et de la perte de leurs sœurs aînées Maria et Elisabeth. Les pouvoirs de ces trois audacieuses jeunes femmes leur ont permis de bâtir une œuvre littéraire légendaire.

Charlotte Brontë, le pouvoir de l’ambition et du romanesque

Charlotte Brontë sait qu’elle est talentueuse. Confiant ses ambitions littéraires au poète Robert Southey, ce dernier lui répond qu’ “une femme ne peut et doit pas faire de la littérature la grande affaire de sa vie”. Convaincue que ses écrits et ceux de ses sœurs valent la peine d’être lus, elle les entraine dans la publication conjointe d’un manuscrit regroupant leurs poèmes, publié sous les pseudonymes masculins de Currer, Ellis et Alton Bell. Bien que cette publication passe inaperçue, les trois sœurs continuent secrètement leur œuvre et s’attèlent à la rédaction de leurs premiers romans, Le Professeur, Les Hauts de Hurlevent, Agnès Grey. En 1847, l’irréductible Charlotte envoie les manuscrits à différents éditeurs sous leurs pseudonymes. L’éditeur londonien Thomas Newby accueille les romans d’Emily et Agnès mais Le Professeur de Charlotte ne cesse d’essuyer les rejets. Refusant de se résigner, l’opiniâtre Charlotte écrit en quelques semaines Jane Eyre. Le succès est immédiat et Charlotte va rapidement rompre avec l’anonymat. Sa notoriété lui vaut l’admiration de nombreux intellectuels londoniens et lui permet de fréquenter de grands écrivains, tels Dickens (qu’elle n’apprécie pas) et Elizabeth Gaskell (qui rédigera sa biographie).
On peut dire que Charlotte Brontë a su faire bouger les choses pour passer à la postérité, en offrant aux lecteurs des récits romanesques en accord avec les valeurs sociales de son temps.

Emily Brontë, le pouvoir de la liberté et du romantisme

Emily Jane Brontë n’écrit pas pour la gloire mais pour la magie de l’écriture. D’ailleurs, c’est à condition que son anonymat soit préservé qu’Emily accepte de rejoindre ses sœurs dans la publication commune de leurs poèmes. Empreinte de liberté et d’indépendance, elle rejette les conventions sociales et accorde difficilement sa confiance. Sauvage et solitaire, elle aime se perdre dans sa chère lande natale du Yorkshire et se lie plus facilement d’amitié avec les animaux qu’avec ses semblables.
Brisant le tabou de la bienséance, son unique roman Les Hauts de Hurlevent désarçonne la critique qui le qualifie de “grossier”, “pervers”, “répugnant”. Emily s’en prend à une institution intouchable de l’Angleterre victorienne : la famille. Cocon sacré dans lequel seuls l’amour et la protection devraient cohabiter, l’inceste (platonique), la violence et la haine font irruption dans le foyer. Contrairement à ses sœurs, Emily se permet de coucher sur le papier des désirs inavouables, des passions destructrices et des personnages criminels, face auxquels le Bien est incapable de triompher.
Avec cet ouvrage, Emily Brontë explosa les codes de la littérature de son temps. Cet esprit libre nous laisse un roman révolté, brutal et impétueux, unique en son genre.

Anne Brontë, le pouvoir de la lucidité et du reportage

Anne Brontë est la plus sage et la moins reconnue des sœurs Brontë. Dès son premier roman, Agnès Grey, Anne écrit avec beaucoup d’honnêteté et de lucidité sur la situation de ses personnages, dans l’idée d’informer au mieux le lecteur sur son temps. C’est dans le même esprit qu’elle rédige La dame du manoir de Wildfell Hall, dans l’espoir d’attirer l’attention sur la situation des femmes mariées, victimes des abus de leurs époux. Face à la critique qui juge le roman “choquant” de part la place qu’il donne à la femme (une hors-la-loi capable de quitter son époux et d’assumer financièrement pour elle et son fils) et le portrait d’un mari cruel, Anne maintient sa position préférant, dit-elle, “chuchoter au public quelques vérités saines plutôt que des fadaises”. Censuré par sa propre sœur Charlotte, qui interdit la republication du livre après le décès d’Anne, cet ouvrage est aujourd’hui considéré comme l’un des premiers romans féministes.
Le talent d’Anne Brontë aura longtemps été dissimulé derrière la notoriété de ses sœurs. Reporter engagée, elle livre des portraits criants de vérité sur les hommes et les femmes de l’Angleterre victorienne, s’élevant contre les préjugés de son temps.

En conclusion, la puissance d’écriture des sœurs Brontë trouve sa force dans la combinaison du pouvoir de chacune et l’indéfectible lien du sang qui les unit, source d’inspiration inépuisable pour la création de leurs personnages.